[TW TCA pour tout l'article]
Donc comme à chaque fois que je dois commander des livres pour les cours du semestre, j'en commande quelques-uns que j'ai vraiment envie de lire. J'ai beaucoup hésité avant d'acheter Piégée. Je me connais et je sais à quel point je suis encore sensible aux triggers (alors oui c'est un anglicisme mais un anglicisme nécessaire, j'ai même pas trouvé de périphrase efficace). Mais ça faisait presque six ans que j'avais entendu parler de ce livre pour la première fois (quand je lisais énormément de blogs sur l'anorexie) et six ans après si je ne suis toujours pas parfaitement guérie je suis quand même plus solide.
Bon, j'étais moins solide que ce que je croyais.
Ce n'est pas un livre qui peut laisser intact, surtout pas quand on a souffert de TCA à un moment (d'ailleurs si vous êtes toujours très malade évitez de le lire c'est pas franchement bon pour vous).
Donc Piégée, c'est l'histoire de Marya qui tombe dans la boulimie à 9 ans puis dans l'anorexie un peu plus tard. C'est un livre dur à lire (mais pas si dur que lire du Wilk même si ça ne parle à personne puisque c'est polonais). Elle parle de la haine de soi d'une façon que j'ai trouvé absolument juste, de l'envie d'aller au-delà de mourir mais de se tuer parce qu'on ne sait pas vraiment comment vivre et qu'on se hait de façon profonde et extrême. D'en arriver à la torture. Et de la force de l'habitude, aussi. Elle se construit en se détruisant donc c'est le seul moyen qu'elle a de vivre donc la rechute est toujours inévitable.
Bref.
Je sais pas comment vous raconter son histoire.
Elle parle bien d'anorexie (pour la boulimie je n'en sais rien j'ai jamais été franchement boulimique. Je mangeais parce que j'avais faim. C'était aussi con que ça). Enfin je trouve qu'elle parle bien d'anorexie, d'à quel point ça ne vient pas nécessairement de la relation avec les parents, de la culture et de l'entourage mais d'abord de l'intérieur de soi (après ça, ça pose des questions de détermination mais je vous laisse envahir les commentaires si vous avec des trucs à dire sur la détermination des êtres). Mais aussi de comment la société est toxique à ce niveau.
Je crois que j'ai rien à développer sur ça, il y a un matraquage absolu au niveau de la minceur, du régime normalisé, de la glorification du contrôle...
Et je voulais revenir sur un point parce que c'est en lien.
Quand on représente des anorexiques c'est toujours de façon séduisante et mystérieuse. Déjà l'anorexique est toujours maigre, dangereusement maigre : l'anorexie ça se voit. L'anorexique c'est une sorte de personnage tragique qui s'auto-persécute jusqu'à la mort.
C'est dangereux l'imaginaire des anorexiques.
Parce que l'imaginaire ça va jusqu'à pénétrer les discours scientifiques. Freud a fait de sacré dégâts déjà (pour changer)(Tonton Sigmund il aurait mieux fait de garder sa psychanalyse pour lui tout seul, hein) avec l'idée que l'anorexie vient d'une mère surprotectrice et d'un père trop absent et que pour soigner les malades il faut les sortir de leur cercle familial (indice : non). Mais les récits, les fictions sur l'anorexie, et tout ce dont se nourrit notre imaginaire n'ont pas aidés.
On représente pratiquement toujours dans la littérature médicale l'anorexique comme une fille, adolescente, blanche classe supérieure, qui cherche à devenir parfaite, qui a d'excellentes notes, qui fait énormément de sport, qui est extrêmement intelligente...Qui est pure.
Quand je lisais la littérature médicale sur l'anorexie - c'était avant de devenir anorexique (pour de vrai, pas juste en mode j'ai un comportement alimentaire étrange depuis toujours) - ça faisait son chemin en moi, les anorexiques avaient une sorte d'aura magique, elles étaient tout ce que je voulais être : parfaites, pures, intelligentes, extrêmement fortes, minces, et sans estime d'elles-mêmes (j'ai toujours méprisé les gens qui s'aimaient parce que j'ai toujours trouvé que c'était être faible de s'aimer, que ça ouvrait la porte à la paresse et à la complaisance. Aujourd'hui je trouve que c'est un acte politique fort).
Ce que je veux dire c'est qu'on dresse un portrait extrêmement séduisant des anorexiques, mais aussi très restrictif (déjà à cause des critères de diagnostiques qui se basent sur l'IMC, l’aménorrhée et l'amaigrissement, bref à anorexie mentale on a des critères de diagnostique uniquement physique, le monde médical tu marches sur la tête). Et ça n'aide pas quand on est malade parce que quand on te vend l'anorexie comme une quête de perfection, quel sens ça aurait d'arrêter la quête ? Quoi, on va mourir, oui mais p.e.r.f.e.c.t.i.o.n.
C'est pervers parce qu'on en vient à gommer sa personnalité pour devenir une bonne anorexique (si on est comme moi une adolescente hautement influençable et sans aucune notion de son identité (et à des milliers de kilomètres de se douter que y'a pas besoin d'être anorexique pour valoir quelque chose)). On se dit "si des filles parviennent à ne rien manger, à avoir d'excellentes notes et à faire énormément de sport, pourquoi pas moi ?" et on essaye. Et on se bousille les articulations à courir parce que "les autres anorexiques le font alors ça doit marcher pour être maigre", et on devient phobique scolaire à force d'exiger un travail au-dessus de ses capacités, et on redevient pas tout à fait soi-même en retrouvant la raison.
Mais si je dis ça c'est parce que j'ai voulu devenir anorexique. J'avais déjà un rapport fucked up à l'alimentation et à mon corps mais je voulais devenir anorexique parce que pour moi c'était la perfection. Parce qu'on me le représentait comme la perfection.
Alors que j'ai été anorexique et j'étais misérable. A des années lumières de l'anorexique parfaite.
Je voudrais qu'on le dise, ça.
Que l'anorexie c'est une grosse souffrance qui vous coupe des autres, de vous-mêmes, qui vous empêche d'atteindre vos objectifs parce que quand vous mangez une tomate par jour vous n'avez l'énergie de rien, qui vous fait mourir.
Ce n'est pas glamour, ce n'est pas désirable, ce n'est absolument pas être parfait. C'est être malade.
Il faut déconstruire l'imaginaire des TCA. Et ça ne passe pas seulement par montrer des vrais corps.
ça passe aussi par montrer des vrais malades.
C'est dangereux l'imaginaire des anorexiques.
Parce que l'imaginaire ça va jusqu'à pénétrer les discours scientifiques. Freud a fait de sacré dégâts déjà (pour changer)(Tonton Sigmund il aurait mieux fait de garder sa psychanalyse pour lui tout seul, hein) avec l'idée que l'anorexie vient d'une mère surprotectrice et d'un père trop absent et que pour soigner les malades il faut les sortir de leur cercle familial (indice : non). Mais les récits, les fictions sur l'anorexie, et tout ce dont se nourrit notre imaginaire n'ont pas aidés.
On représente pratiquement toujours dans la littérature médicale l'anorexique comme une fille, adolescente, blanche classe supérieure, qui cherche à devenir parfaite, qui a d'excellentes notes, qui fait énormément de sport, qui est extrêmement intelligente...Qui est pure.
Les anorexiques selon les médecins : douces, belles, iréelles et torturées (bon là elle est pas assez maigre) (mais j'aimais bien la photo) |
Quand je lisais la littérature médicale sur l'anorexie - c'était avant de devenir anorexique (pour de vrai, pas juste en mode j'ai un comportement alimentaire étrange depuis toujours) - ça faisait son chemin en moi, les anorexiques avaient une sorte d'aura magique, elles étaient tout ce que je voulais être : parfaites, pures, intelligentes, extrêmement fortes, minces, et sans estime d'elles-mêmes (j'ai toujours méprisé les gens qui s'aimaient parce que j'ai toujours trouvé que c'était être faible de s'aimer, que ça ouvrait la porte à la paresse et à la complaisance. Aujourd'hui je trouve que c'est un acte politique fort).
Ce que je veux dire c'est qu'on dresse un portrait extrêmement séduisant des anorexiques, mais aussi très restrictif (déjà à cause des critères de diagnostiques qui se basent sur l'IMC, l’aménorrhée et l'amaigrissement, bref à anorexie mentale on a des critères de diagnostique uniquement physique, le monde médical tu marches sur la tête). Et ça n'aide pas quand on est malade parce que quand on te vend l'anorexie comme une quête de perfection, quel sens ça aurait d'arrêter la quête ? Quoi, on va mourir, oui mais p.e.r.f.e.c.t.i.o.n.
"Si tu est anorexique tu es forcément un squelette" (comment ça je m'acharne sur le monsieur d'Inktober) (oui) (tu es artiste tu as une responsabilité) |
C'est pervers parce qu'on en vient à gommer sa personnalité pour devenir une bonne anorexique (si on est comme moi une adolescente hautement influençable et sans aucune notion de son identité (et à des milliers de kilomètres de se douter que y'a pas besoin d'être anorexique pour valoir quelque chose)). On se dit "si des filles parviennent à ne rien manger, à avoir d'excellentes notes et à faire énormément de sport, pourquoi pas moi ?" et on essaye. Et on se bousille les articulations à courir parce que "les autres anorexiques le font alors ça doit marcher pour être maigre", et on devient phobique scolaire à force d'exiger un travail au-dessus de ses capacités, et on redevient pas tout à fait soi-même en retrouvant la raison.
Mais si je dis ça c'est parce que j'ai voulu devenir anorexique. J'avais déjà un rapport fucked up à l'alimentation et à mon corps mais je voulais devenir anorexique parce que pour moi c'était la perfection. Parce qu'on me le représentait comme la perfection.
Alors que j'ai été anorexique et j'étais misérable. A des années lumières de l'anorexique parfaite.
Je voudrais qu'on le dise, ça.
Que l'anorexie c'est une grosse souffrance qui vous coupe des autres, de vous-mêmes, qui vous empêche d'atteindre vos objectifs parce que quand vous mangez une tomate par jour vous n'avez l'énergie de rien, qui vous fait mourir.
Ce n'est pas glamour, ce n'est pas désirable, ce n'est absolument pas être parfait. C'est être malade.
Il faut déconstruire l'imaginaire des TCA. Et ça ne passe pas seulement par montrer des vrais corps.
ça passe aussi par montrer des vrais malades.