mercredi 23 mars 2016

Y'a un problème dans les mots, tu sais

J'ai pas envie de pas parler des attentats de Bruxelles mais j'ai pas tellement envie d'en parler non plus. Alors juste une phrase en début de l'article parce que c'est l'horreur et la tristesse et vient on parle de livre c'est mieux que parler de la guerre et des morts.

C'est un peu drôle à chaque fois que je me dis "oh je vais faire un article sur ça" et bah bim en cours les choses se mettent à tourner autour de ce à quoi je réfléchis.
Genre le langage.
C'était le Remucer qui avait lancé ça dans ma tête et ça m'avait tenté de lui répondre mais y'a trop de gens intelligents dans sa zone de commentaires je m'y sens pas à ma place.
Cadeau si tu veux lire l'article :

Et puis ça a fait son chemin.
Comme je suis en fac de lettres, j'étudie le langage. En lettres modernes on fait de la linguistique donc c'est de l'étude précise - descriptive et pas prescriptive - de la langue. Et ça m'intéresse pas mal (tellement que j'ai acheté la GMF (grammaire méthodique du français) et que j'en feuillette des bouts pour le plaisir (j'ai pas tout lu, la bête fait 1000 pages en papier bible)). Et puis je fais du latin, niveau trois, confirmé qu'y disent, globalement ça veut dire que je deviens pas mal familière avec la langue latine.

Et ce qui me fascine c'est que c'est rarement la pensée qui structure le langage. Enfin, si, c'est la façon de penser et de voir les choses d'une culture qui fait qu'on va employer tel temps verbal ou tel mot pour décrire une situation, mais tu vois, l'anglais c'est pas une langue de la périphrase, ce qui fait qu'entre nous autres francophones adeptes de la phrase longue et anglophones aux petites phrases courtes et précises il y a un gouffre.

D'ailleurs pendant des années le latin était considéré comme impropre à la philosophie (parce que trop terre à terre et impossibilité de substantiver les mots pour en faire des concepts parce que y'a des articles en grec et pas en latin (exemple "le beau" de Platon et bah en grec ancien c'est ta kalla, donc l'adjectif kalon (beau - belle - beau au neutre) substantivé, en latin beau - pulcher pulchra pulchrum - tu peux pas mettre un article devant et dire "pouf ça veut dire le beau")). Et c'est Cicéron qui a décrété que hé le latin c'est cool aussi et qui s'est acharné à traduire des textes grecs en latin même si tout le monde lui disait que ça servait à rien. Mais il l'a fait quand même (j'ai particulièrement aimé l'image de ma prof de latin : "Il a fait rentrer les concepts dans sa langue un peu au chausse-pied" (sous-entendu il a élargi le sens de pas mal de mot pour éviter de devoir passer par des images, ce que jusque là les latins devaient faire pour accéder à l'abstraction (accessoirement, c'est le cauchemar des latinistes))).
Et le truc vraiment drôle c'est que jusqu'au XXème siècle on écrivait les thèses de philo en latin. Genre. Impropre à la philosophie, ouais ouais.

Du coup là au XXème siècle on a commencé à trouvé qu'il y avait un problème avec le langage (c'est d'ailleurs de la conscience du problème qu'est née la linguistique, avant on avait juste de la grammaire en mode "l'adjectif s'accorde en genre et en nombre blablabla", avec la linguistique est apparue l'étude critique du langage). Qu'il était insuffisant pour décrire tout. Qu'avec les mots on passait à côté des choses parce que les mots renvoyaient à quelque chose de global (genre "une table", qu'est-ce que ça dit de la table, pas grand-chose) et que les choses ne sont pas des concepts.
Et souvent on propose comme solution à ce "problème du langage" de faire des néologismes. Ou d'élargir les sens. Bref de modifier le langage.
Et je ne suis pas d'accord (sans m'opposer vraiment à des modifications mais.). 
Je pense qu'en vrai il faudrait prendre le langage comme il est, les mots avec toutes leurs casseroles d'imaginaire et de constructions culturelles parce que c'est aussi ça le langage : une représentation de l'histoire de la pensée. Et il faut être conscient de ça quand on utilise un mot. Vivre le langage en y pensant (par exemple, savoir que féministe ça veut pas dire connasse castratrice qui veut la supérioté de la femme mais que le mot s'inscrit dans un contexte historique où pour lutter contre les inégalités hommes / femmes il fallait mettre en avant les femmes de façon affirmée et que "égalitarisme" c'était trop neutre).

Cet article ne fait qu'effleurer le sujet.
Mais il est déjà bien assez long comme ça.

6 commentaires:

  1. C'est rigolo. "Kalon", beau en grec si j'ai bien compris, ben en breton, ça veut dire coeur.
    Alors kalon sur toi.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oh. J'aime avoir appris un mot en breton. Merci. Kalon sur toi.

      Supprimer
  2. C'est drôle de se dire qu'on a beau étudier la même chose (ou presque) mais que je puisse quand même passer à côté de questionnements aussi intéressants que celui-ci. En vrai, c'est vraiment ce genre de questions techniques sur des sujets humains qui font ma vie.
    Merci d'éclairer un peu plus mon horizon 'Tite Fée!
    J'ai conscience de pas être claire du tout mais c'est pas grave, je prend plaisir à partager ma pensée pour une fois.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est parce que c'est un questionnement en filigrane (ou juste qui me questionne individuellement). Les profs lancent pas si souvent que ça ce genre de questionnement intéressant (ou alors le lancent, et le laisse lancé en l'air et ne revienne jamais dessus et c'est frustrant)
      Merci d'avoir fini par arriver dans mes commentaires toi ^^
      Mais si c'est plutôt clair t'inquiète ^^

      Supprimer